A l’occasion de la sortie de son premier album baptisé « L’attente » sorti le vendredi 22 mars dernier, j’ai échangé avec Thérèse sur la thématique phare de son album : le rapport au temps. L’inspiration principale de cet opus est sa transplantation qui a eu lieu en novembre 2022.
Lise : Comment t’es venue la genèse de cet album ?
Thérèse : Vous avez vu le documentaire sur Orelsan ? Eh bien, les notes dans mon téléphone ressemblent à peu de chose près à la même chose (rire). Je ne m’arrête jamais vraiment d’écrire, mais j’ai commencé à penser et à écrire mon album, de façon sérieuse, après mon opération du 4 novembre 2022. J’ai une maladie héréditaire, la polykystose hépato-rénale, et je me suis faite transplanter. La structure de mon projet s’est faite de manière assez immédiate, elle est liée à tout ce que j’ai ressenti, compris et appris avec ce don d’organe.
L’apprentissage de ma vie d’adulte a beaucoup été fait à travers cette maladie. Elle a eu beaucoup d’influences et d’impacts, positifs comme négatifs, sur mes choix, ou sur des aspects comme la notion du temps et l’injustice, la jalousie d’une vie normale.
La vie, c’est une succession d’événements absurdes, cools ou moins cools, et le seul pouvoir qu’on a dessus, c’est le récit qu’on en fait. C’est ce qui a fait en sorte que l’album voit le jour, et son nom ; L’attente, image bien mon récit.
Lise : L’attente est le nom de ton album, mais aussi d’un de tes titres ?
T : Oui, le titre raconte l’attente de la greffe ! L’attente, c’est très dur. Mais j’ai vraiment eu de la chance, c’était rapide ! Trois semaines à partir du moment où je me suis inscrite sur liste d’attente définitive, et où on pouvait donc m’appeler n’importe quand. Pour ma mère, ça avait duré cinq ans…
J’avais entamé l’écriture de cette chanson avant la greffe, et je l’ai vraiment façonnée après l’opération, quand j’ai su comment la terminer.
Lise : Il y avait des chances que ton corps repousse la greffe ?
T : Oui, bien sûr. Tu n’es jamais sûre de trouver un donneur ou une donneuse, c’est spécifique à ton groupe sanguin et plein d’autres choses, et il n’y a jamais aucune certitude sur le fait que la compatibilité soit effective à 100 %, même dans le temps. Pour l’instant, ça tient, donc je touche du bois !
C’est assez incroyable, je me dis que la vie est bien faite. Je me suis également réconcilié avec l’idée de la mort, alors que j’avais réfléchi à plein de choses auxquelles on n’est pas censé penser à nos âges, j’avais préparé mon testament, etc. No Right Time parle de ça, du fait que tu ne sais pas quand ça va arriver.
Lise : Tu considères ton album comme un message d’espoir ?
T : À fond ! Et je trouve ça chouette que les gens s’en rendent compte ! Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles, j’en ai conscience, mais c’est ce que j’ai envie de transmettre. Il y a toujours une part d’espoir : on sait qu’il y a davantage de risques qu’on meurt rapidement, sans savoir quand ça va arriver, mais, en attendant, on a l’opportunité de vivre, et ça donne encore plus de valeurs à tous les petits moments de la vie ! Ça donne une pulsion de vie qui est forte et belle. Après tout ça, je t’assure que je ne vis plus de la même façon !
Lise : Tu peux me parler de ce changement de vision sur la vie ?
T : Alors, je suis quelqu’un qui adorait déjà la vie, avant, et ce qui a la plus changé, c’est la conscience de vouloir profiter des gens que j’aime. Je ne regrette pas du tout de m’être jetée corps et âme dans la musique, car c’est ce qui me rend heureuse, mais, aujourd’hui, je ne suis plus celle qui ne va pas à un mariage parce que j’ai un concert. J’ai davantage conscience de la préciosité du temps qu’on a, quand on est vivant, et j’arrive à mieux le gérer. Le temps, c’est vraiment le thème central de l’album.
Il a d’autres aspects de ma vie qui ont également changé, des choses plus pragmatiques comme le fait que je ne fasse plus la bise, parce que je suis plus vulnérable, le fait qu’il y ait moins de place pour l’improvisation ; ne plus pouvoir partir en voyage à la dernière minute par exemple, la gestion des médicaments…
Aussi, avant l’opération, j’avais du mal à respirer, à chanter, j’étais vite essoufflée… Je me demandais si j’allais pouvoir continuer la scène dans cet état physique. Aujourd’hui, ma condition physique est nettement meilleure.
« La vie, c’est une succession d’événements absurdes, cools ou moins cools, et le seul pouvoir qu’on a dessus, c’est le récit qu’on en fait. C’est ce qui a fait en sorte que l’album voit le jour, et son nom ; L’attente, image bien mon récit. »
Thérèse
Lise : Et concernant les différents titres de l’album, comment as-tu réfléchi leur enchaînement ?
T : Il n’y a pas forcément d’enchaînement logique, ça s’est dessiné au fur et à mesure, mais j’ai toujours eu la volonté de faire plein de styles différents. Le tout est assez éclectique, ça me ressemble (rire). Globalement, c’est de la pop, mais il y a des sonorités alternatives, puisées dans plusieurs styles de musique : rap, rnb, club, goa minimal… On a trouvé des textures qui lient le tout.
Je travaille avec Adam Carpels, qui est mon producteur, et qui m’accompagne aussi sur scène. Il avait préparé une trentaine de prod, et, ensuite, j’y suis allée à l’intuition. L’ensemble de l’album s’est fait comme ça. J’ai laissé l’art faire.
Lise : Parmi ces titres, il y a un feat avec Louisadonna et un autre avec Coeur, tu nous racontes comment ça s’est fait ?
T : Ce sont des amies ! En fait, il y a une constellation, une “nébuleuse” comme on l’appelle, qui s’appelle la Chrysalide, initiée par Kelyboy, et on est toutes des copines de Kelyboy à la base. C’est à travers ça que j’ai consolidé mes liens avec Louisadonna.
Quand j’ai commencé à écrire M’autosaboter, j’ai senti que ça serait un titre à faire en feat. J’avais écrit le premier couplet, et j’ai tout de suite pensé à elle pour m’accompagner sur ce morceau ainsi que pour coopérer sur l’écriture. J’adore sa voix et son combat, ses engagements, et je voulais mixer tout ça avec mon univers. On s’est vraiment bien trouvées sur cette collaboration !
Par contre, je ne voulais pas lui proposer une chanson militante. Je suis également quelqu’un d’engagée dans mes textes, et je trouve qu’à force de combats et de dénonciations, on s’oublie, et c’est dans cette optique que je voulais lui proposer un titre plus doux. Ce qu’on prône, c’est la liberté, et on essaie de se l’appliquer à nous-même.
« Il y a toujours une part d’espoir : on sait qu’il y a davantage de risques qu’on meurt rapidement, sans savoir quand ça va arriver, mais, en attendant, on a l’opportunité de vivre, et ça donne encore plus de valeurs à tous les petits moments de la vie ! »
Thérèse
Lise : Tu as d’autres projets de ce style, en plus de la musique ?
T : J’en ai plusieurs, oui. Je suis en train de monter un collectif d’artistes Asiat. C’est un réseau d’entraide, globalement, pour les aider à se visibiliser, pour qu’on puisse se donner des tips et de la force, pour que je puisse aussi partager mon expérience, à mon échelle. C’est toujours plus fun à plusieurs et quand on se sent soutenu.
J’ai également un projet de mini-série en cours, qui présentera les équipes qui m’ont aidé à travailler sur chaque titre de mon album. Ça me tient à cœur de les mettre en lumière, car je leur dois énormément.
Un podcast est également dans les tiroirs. Il sera orienté vers la santé physique des artistes. Aujourd’hui, la parole commence à se libérer sur la santé mentale, mais un peu moins sur la santé physique. On parlera évidemment des deux, mais ça me tient à cœur d’aborder ce sujet, parce qu’on utilise notre corps pour travailler, que ce soit nos muscles, notre apparence, notre voix… Et tout ça, il faut en prendre soin ! Pourtant, l’industrie ne nous aide pas à en prendre soin : “Pourquoi dormir, c’est pour les faibles”, “Bois de l’alcool, sinon t’es pas drôle”, “Prends de la drogue, sinon t’es pas cool”… Je vais enregistrer les premiers épisodes avec des artistes du monde de l’industrie musicale : artistes, techniciens, producteurs, etc. À terme, si j’ai des financements pour de futures saisons, j’aimerais élargir aux danseurs, comédiens… Tous les métiers en fait. À l’heure actuelle, c’est en montage, j’espère le sortir en fin d’année !
Lise : Une tournée est prévue pour défendre ton projet sur scène ?
T : Oui et j’en suis trop contente ! Je vais aller à la rencontre du public en France, mais aussi en Belgique, en Allemagne, peut-être en Suisse aussi en fin d’année. Mon ambition, c’est d’avoir une musique à portée internationale, donc je suis ravie.
D’ailleurs, j’ai beaucoup de presse en Allemagne, je passe sur des grosses radios, c’est assez dingue ! J’ai aussi joué à Berlin lors de deux festivals en mars, je suis programmée au Cosmo festival, au Fusion festival, au C/O pop… Beaucoup de choses en Allemagne cette année.
Sinon, concernant mes prochaines dates : Je joue à Auray, aux Nuits soniques, le 27 avril, à La Nef, à Angoulême, le 16 mai, et, ce n’est pas encore officiel au moment où on fait cette interview, donc, petit scoop : je joue à La fête de l’Huma à la rentrée. Sinon, ma date la plus importante sera à La Maroquinerie à Paris, le 12 juin 2024.
« Un podcast est également dans les tiroirs. Il sera orienté vers la santé physique des artistes. Aujourd’hui, la parole commence à se libérer sur la santé mentale, mais un peu moins sur la santé physique. »
Thérèse
Lise : Tu peux nous expliquer ce que tu as prévu pour cette soirée à La Maroquinerie ?
T : J’ai prévu de faire mon propre festival, de faire une fête (rire). Ça s’appelle Not a private party, mais, en fait, tout le monde peut venir. Avant le show, il y aura une table ronde sur le thème “Où sont les artistes asiatiques en France ?”, avec plein d’artistes asiatiques pour témoigner.
Pendant le concert, il y aura des guests, que j’annoncerai un peu avant la date. Après le show, il y aura un DJ set d’un des artistes avec lequel j’ai collaboré sur le titre Butterfly de mon album, et beaucoup de surprises tout au long de la soirée, que je ne peux pas annoncer ici (rire). Beaucoup de choses arrivent et je suis vraiment excitée de vivre tout ça !