J’ai participé pendant deux années consécutives en tant que spectatrice au festival « Les femmes s’en mêlent », festival qui met en avant des femmes talentueuses d’univers musicaux différents. C’est une initiative que je trouve inspirante et innovante. Je suis donc partie à la rencontre de plusieurs protagonistes de ce festival : artistes, fondateur, photographe et spectateurs afin de réaliser un reportage. Dans ce premier article, j’ai laissé la parole à deux artistes présentes lors de cette 22èmeédition : Silly Boy Blue et Circé Deslandes.
Ana Benabdelkarim a créé son premier projet solo Silly Boy Blue en 2017 avec la sortie de son 1erEP fin 2018. Quant à Cécilia Halatre, elle a choisi le nom Circé Deslandes, car Circé véhicule toute une imagerie autour de la sorcière et de la prêtresse.
C’est parti pour une interview croisée traitant d’engagement, de féminisme, de modèles, d’écologie et bien plus encore !
Circé Deslandes © Florie Berger
Silly Boy Blue © VALERIAN7000
Lise : Quelle est votre vision de la femme dans le monde de la musique et des médias ?
Silly Boy Blue : C’est compliqué car les femmes sont sous-représentées dans le monde de la musique. Même si elle est minoritaire dans les 2 métiers, il y a tout de même des différences.
Dans la musique, c’est une catastrophe, certains festivals ne programment encore que des hommes et ne mettent pas assez en valeur les femmes. Cependant des festivals commencent à s’engager pour respecter la parité, des initiatives se mettent en place comme le festival « Les femmes s’en mêlent ».
Dans le journalisme, c’est la même histoire. Un grand nombre de femmes talentueuses sont à des postes bien moindres que les pontes du journalisme.
Circé Deslandes : Tous les évènements marquants actuels contribuent à faire entendre une voix nouvelle. Il y a une parole qui est en train d’émerger et de se faire entendre de manière puissante, ça fait énormément de bien ! Je sens également une fédération des énergies et une sororité qui se crée de plus en plus.
Sur scène, j’avais toujours une espèce de réserve parce que ma grande angoisse était que les femmes ne m’aiment pas ! Une des premières raisons est la compétition entre femmes qui est véhiculée par la société capitaliste. Au fond, les femmes, ce sont des louves entre elles !
Lise : Comment te positionnes-tu aujourd’hui en tant que femme musicienne et journaliste ?
S. B. B. : Je me suis battue pour avoir le droit d’exercer ces différents métiers. Mais j’ai déjà vu des gens beaucoup moins acharnés que moi réussir beaucoup plus rapidement parce qu’ils étaient des hommes. J’espère qu’un jour, je pourrais, aider d’autres femmes, comme d’autres l’ont fait pour moi. Servir de moteur pour que des femmes osent se lancer.
Lise : Avez-vous une anecdote significative à me raconter ?
S. B. B. : Ce n’est pas tant une anecdote, c’est une avalanche d’anecdotes qui me vient. Il y a beaucoup d’ingénieurs du son qui essayent de t’apprendre comment faire les branchements alors que tu les fais depuis des mois voire des années.
Dans ma carrière de journaliste, très souvent, les personnes qui m’ont soutenue, étaient des femmes.
C. D. : J’en ai eu tellement ! Avant, j’étais comédienne et c’était pire ! J’étais positionnée en objet de désir et fragilisée de cette dépendance du regard de l’autre. J’ai longtemps souffert de ce rapport et vécu des histoires rocambolesques. À un moment précis, j’ai décidé de me positionner en sujet et les rapports ont commencé à changer.
Lise : Quels sont vos modèles féminins qui vous inspirent au quotidien ?
S. B. B. : Il y a beaucoup de femmes qui m’inspirent : Lady Gaga, Lana Del Rey, les Runaways, Courtney Love, les Warpaint… Hors musique, je suis admirative de femmes telles que Françoise Sagan, Virginie Despentes, Simone De Beauvoir, Marie Turcan, Marie Kirschen. C’est hyper important et boostant d’avoir des modèles à tout âge !
C. D. : Ce sont surtout des modèles empruntés au tarot de Marseille comme la figure de l’impératrice. C’est une figure à laquelle je me réfère énormément. C’est une femme puissante et guerrière qui a de grands désirs et la force de les matérialiser dans la terre.
Ma grand-mère m’inspire également. C’était la seule femme dans ma famille qui n’était pas soumise, elle tirait une jouissance de l’existence et était complètement libre. Je pense aussi à Niki de Saint Phalle, elle porte un féminisme joyeux, coloré et lumineux. J’aime la colère, la révolte de Virginie Despentes dont je me nourris.
« Dans la musique, c’est une catastrophe, certains festivals ne programment encore que des hommes et ne mettent pas assez en valeur les femmes. » Silly Boy Blue
Lise : Etes-vous déjà engagée ou souhaitez-vous vous engager au quotidien pour la lutte contreles inégalités femmes-hommes ?
S. B. B. : Je considère que je suis féministe. Faire de la musique en étant seule sur scène, c’est déjà, pour moi, un acte féministe. Dans le journalisme, je traite souvent de ces sujets. J’aimerais être beaucoup plus engagée, mais le temps est limité.
C. D. : Oui bien sûr ! J’avais travaillé avec Eloïse Bouton lors de sa compilation « Contre coups » sur laquelle 12 femmes chantaient contre les violences faites aux femmes. Tous les fonds ont été reversés à l’association Genesis.
Lise : Quels messages voulez-vous faire passer à travers vos textes ?
S. B. B. : J’essaye de ne pas genrer mes morceaux pour que tout le monde puisse se reconnaître.
C. D. : Je souhaiterais véritablement que mes créations musicales servent la cause écologique. Pouvoir déconstruire les mythes, liés au système de surconsommation afin de créer un autre mythe. J’aimerais rendre l’écologie plus sexy pour que les gens prennent conscience de la gravité des choses.
Mon cœur de création est plutôt l’intime, le féminin et j’ai envie de continuer à développer ces thématiques tout en y apportant une dimension écologique.
« Ma grand-mère m’inspire également. C’était la seule femme dans ma famille qui n’était pas soumise, elle tirait une jouissance de l’existence et était complètement libre. » Circé Deslandes
Lise : Quelle est votre philosophie de vie au quotidien ? Quels seraient vos mantras ?
S. B. B. : Ma philosophie de vie est d’essayer d’être tolérante avec moi-même et ainsi me sentir légitime dans ce que je fais. À force d’avoir été décrédibilisée et reléguée au second plan, j’ai du mal à avoir confiance dans ce que je fais et en ce que je suis.
C. D. : J’essaye de cesser de lutter et de combattre pour que l’autre ne valide pas mon travail. L’idée est de rentrer dans un processus dans lequel je me valide moi-même.
Lise : Quels sont vos futurs projets ?
S. B. B. : En ce moment, il y a une grosse tournée qui est en cours avec beaucoup de dates, donc je me focalise dessus jusqu’à la rentrée prochaine. En parallèle, j’ai fait des maquettes qui vont sortir au fur et à mesure.
C. D. : Je suis en train de terminer un projet de création sonore qui s’appelle « Les Mages Roses ». Ce sont 14 hommes que j’ai interrogés entre 25 et 88 ans à qui je pose des questions sur leur vie intime. De cette récolte, plusieurs chapitres sont nés.
Côté musique, j’ai créé « le manifeste du ventre rouge ». C’est un projet qui n’a pas pour ambition une reconnaissance sociale et professionnelle. C’est juste de la création pure. Ce n’est pas parfait techniquement, mais c’est mon espace de créativité et de liberté.
Pour suivre mes aspirations écologiques, je pars très bientôt en Bretagne, rencontrer la famille Baronnet, les créateurs des premières maisons autonomes dans les années 1970. Ce sont des manières de vivre qui me semblent très inspirantes. J’ai envie de m’éloigner de cette société aux valeurs qui ne sont pas les miennes. L’idée serait d’avoir une maison complètement autonome, pouvant accueillir des artistes en résidence.
Lise : Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux lecteurs et lectrices de « La Meuf à Frange » ?
S.B.B. : Si vous avez un projet que vous avez envie de réaliser, foncez ! Il vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets.
C. D. : Entourez-vous des bonnes personnes, donnez-vous de l’amour et faites des choix qui vont dans le sens de votre désir !
#LaMeufAFrange